CARACTÈRE


Maison d'écriture


Nathalie


nathalie

L'audacieuse voyageuse


Une vie tranquille se révèle dans les plaisirs simples. Voilà quel serait l’adage qui gouverne l’existence de Nathalie. Sans prétention aucune, elle se plaît à affuter son esprit pour maîtriser l’agencement des lettres, en s’adonnant au cruciverbisme ou lors d’une rituelle partie de scrabble avec son mari avec qui elle forme un couple où la connivence n’exclut pas l’indépendance. Pour lui, la course à pied de vingt kilomètres en guise de promenade digestive. Pour elle, la douce régularité d’une heure de Pilate chaque semaine. L’instant présent se conçoit comme l’opportunité d’auréoler le quotidien de joie, en veillant à rire chaque jour, de malice ou de dérision. Cet entrain brille chez Nathalie comme l’eau claire d’une source pure empruntant de multiples voies. Quand elle ne chante pas de discrètes mélodies au débotté, elle restaure son calme dans son jardin où elle y cultive l’art de l’insolite. En témoigne sa réinterprétation de la dune du Pilat, fier relief dominé d’une extravagante cordyline pourpre aussi truculente que les anecdotes qui ponctuent sa vie.



Car la qualité de l’intuition de Nathalie n’est pas toujours corrélée à la sagacité de ses intentions. Évoquons ici, la Grande Affaire de l’Imprimante. L’idée ne manquait pas de génie. Un mari en télétravail, des documents à éditer, mais une machine qui fait terriblement défaut. Lassée de jouer au Gutenberg de fortune à son travail pour produire sans cesse les précieux documents réclamés par sa moitié, Nathalie sentit poindre la nécessité. L’évidence fusa quand les enfants demandèrent quel présent conviendrait pour leur père. La réussite semblait certaine, et pourtant, le triomphe de cette fulgurance n’eut d’égal que son monumental échec. L’appareil ne servit jamais. Quant à la spontanéité, elle n’offre pas d’issue plus convaincante que celles des bienveillantes machinations ourdies de longue date. « Ça n'arrive qu’à moi », confesse Nathalie en repensant à un dîner, à ce dîner. Toujours prompte à participer à l’élaboration d’un délicieux repas, elle s’enquit avec enthousiasme auprès de son hôte, lequel n’avait plus l’usage de son bras : « Tu veux que je te donne un coup de main ? ». Plus tard, quittant les lieux au volant de sa voiture, quand la même personne lui intima de veiller à ne pas percuter le portail en manœuvrant, Nathalie répondit : « Je sais bien, je ne suis pas manchote ! ». Heureusement, elle possède ce talent rare où ce qui pourrait tenir de la maladresse suscite la tendresse.



L’existence de Nathalie semble ainsi frappée du sceau de la convenance sans augurer la moindre extravagance. Toutefois, quiconque se hasarderait à pareil jugement se fourvoierait inévitablement. Sa vie pleine de gaieté s’apparente davantage à une odyssée qu’à une succession de banalités. À l’instar d’Ulysse subissant l’ire de Poséidon, Nathalie affronta, malgré elle, une créature dont la perfidie confinait à l’ineptie, à savoir son insidieuse collègue de travail. Cette personne, si tant est qu’il fut possible de la qualifier comme telle tant sa nature empruntait plus au démon qu’à la divinité, se vautrait dans la médiocrité pour n'exceller que dans la conduite d’intrigues sournoises. Il en résulta plus d’une décennie d’appréhension, d’angoisses incessantes et de frustrations sourdes. Inconfortable, mais pugnace, Nathalie s’accrocha avec dignité. Elle se garda de se plaindre de la situation, pourtant intenable, où l’impérieux désir de travailler le disputait à l’impétueuse nécessité de se dresser contre l’injustice. D’aucun pourrait s'en accommoder. Mais pas Nathalie. En tant que fille de résistant, elle se devait de rejeter l’inacceptable. Sa conscience aiguë de la liberté l’emportait sur l’opprobre tant redouté. Il suffit d’une promesse bafouée pour tout renverser. Réservée, effacée, Nathalie va finalement oser. Et se révéler. « Je démissionne », se surprit-elle à annoncer sans fard. Deux simples mots qui la libérèrent d’elle-même et des vieilles entraves qu’elle s’imposait. Qu’importait les conséquences, elle pouvait compter sur son  mari, cet indéfectible allié de toutes les épreuves. Nul doute sait-il, en marathonien avisé, que même si parfois la pente est rude, la route est droite.



Ce départ salvateur insuffle en Nathalie une indicible et inextinguible soif d’ailleurs. Son dévolu se porte sur l’Asie du Sud-Est. La première gorgée s'avère toutefois amère. Elle ne goûta pas à la pollution qui viciait Bangkok, ville d’allure triste et sans saveur. Les charmes les plus exquis exigent une once d’obstination. La révélation se fait lors d’un second voyage, presque fortuitement. L’exotisme de cette éclatante mosaïque de pays ravit Nathalie qui trouve enfin cette simplicité vivant en elle comme une certitude absolue. Aucune limite ne freine sa curiosité et sa soif d'exploration, hormis peut-être, au Vietnam, ces autres reliques moins désirables que sont les mines enfouies héritées de la guerre. Une menace que Nathalie n'ignore pas, mais ne redoute pas. « Si on a peur, on ne part pas » insiste-t-elle. Le seul interdit à l’horizon étant celui de repousser demain un voyage possible aujourd'hui. Il ne faut avoir aucun regret, seulement de nouvelles envies. L’aventure devient ainsi une habitude, avec un voyage par an. Comme un pied de nez à tous ceux qui semblaient vouloir lui dicter son destin, lui intimant de se conformer à ce qu’on attendait d’elle, Nathalie vagabonde hors des chemins bien balisés pour touristes assagis. Rien de tel pour découvrir les temples d'Angkor, endormis sous la jungle. Par les détours et les imprévus, les rencontres se nouent, la complicité se tisse en dépit de la langue ou de la culture, et la magie opère. Celle d’abord, des sourires, qui illuminent des visages qu’elle croise, partout. Non pas une simple politesse, comme elle l’avait d’abord envisagé, mais l'éclat véritable et profond d’une joie sincère qui la saisit au cœur. Un bonheur qui infuse et invite à toutes les audaces, à l’image de cette escapade en bus de plus de cent kilomètres aux confins de la Thaïlande où Nathalie et son mari durent se contorsionner pendant des heures entre les locaux et leurs improbables chargements. Si elle avait pensé « Plus jamais ! » sur l’instant, la simple évocation du souvenir de cet improbable périple l’amuse aujourd’hui.



Ces pérégrinations restent néanmoins des parenthèses. Si Nathalie aurait pu partir à la retraite, et se contenter de cet équilibre entre voyage et jardinage, elle bouda l’oisiveté pour demeurer en activité. Il n’était pas tant question de s’occuper que de rester fidèle aux principes de son père, pour qui le travail forgeait des individus nobles aux existences accomplies. Des principes néanmoins à tempérer à l’aune de la sérénité, si précieuse pour Nathalie. Grâce à son caractère empli de délicatesse envers les patients et sa mémoire pleine d’adresse qui, conjuguées, lui permettent de seconder avec aisance n’importe quel praticien, elle jouit d’une réputation méritée. Aussi, s’est-elle tout récemment offert un cadeau exquis, inconcevable des années auparavant, à savoir le luxe de choisir, de formuler ses conditions et de façonner sa propre organisation. Le temps des vaines expectatives et des doutes a cédé le pas à celui de la reconnaissance et de la confiance retrouvée.



Nathalie doit sa réussite à cette sagesse, acquise au grès des contingences et des déambulations, ainsi qu’à sa clairvoyance pour n’avoir jamais confondu le trivial avec l'essentiel. Une sagesse qui lui confère une assurance et un enthousiasme tel, envers l’avenir, que rien ni personne ne saurait la faire vaciller. Désormais, Nathalie est portée par un élan qui abrite l’essence même du vivant. « Avoir des projets, c’est ce qui fait avancer » comme aimait le dire son père. À ceci près qu’elle ne peut plus se contenter de son héritage moral. Elle songe à explorer, cette fois-ci non pas un autre pays, mais une autre époque, toujours avec cette même résolution. Ce père résistant et cette grand-mère faite prisonnière durant la guerre résonnent depuis trop longtemps comme une invitation à mener des investigations. Un retour aux racines qui ne sonne en rien comme un repli, bien au contraire. Après tout, quoi de mieux pour avancer que de savoir d’où l’on part ? Alors, le songe d'une retraite sur ce continent constellé de sourires avenants se dessine chaque jour plus précisément. Y aurait-il perspective plus délectable que celle de se soustraire à la grisaille hexagonale au profit de l'éternel été tropical ? Pareil projet réclame cependant réflexion en raison de la complexité de l’équation. Conformément à sa vieille habitude, le temps continue de s'écouler, et la famille, ce pivot sur lequel Nathalie concentre son affection, continue de prospérer. Pourra-t-elle se passer de ses petits-enfants plusieurs mois durant alors qu’ils viennent chaque semaine égayer sa maison ? Dérogera-t-elle à ses principes en repoussant son départ au risque d’avoir une santé moins solide ? D’ailleurs, quel serait le bon moment ? Une nouvelle fois, Nathalie va devoir choisir. Gageons que la solution, comme des années auparavant, lui apparaisse avec autant de clarté et qu’elle sera à son image, d’une élégance et d’une simplicité remarquable.




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